Fiche de lecture
Le cri primal
Arthur Janov
Champs Essais, 1975
(éd. revue 2009)
706 pages
Le cri primal présente les aspects théoriques et pratiques de la thérapie primale inventée par Arthur Janov dans les années 70.
Assez typique de l’époque et de la région (Arthur Janov exerçait en Californie, la Mecque américaine des pratiques corporelles), cette thérapie repose sur des techniques de corps et de respiration pour faire émerger des émotions enfouies, dont Janov nous dit qu’elles sont à la source des névroses.
En expérimentant via la respiration et le corps des primals, c’est à dire en revivant certains de nos traumatismes de la toute petite enfance, et en exprimant les émotions retenues sur le moment (le fameux cri), Janov affirme qu’on peut se libérer de l’armure émotionnelle que nous avons dû former pour tenir à l’écart ces émotions insoutenables.
La souffrance primale
Arthur Janov raconte avoir basculé en entendant parler d’une performance artistique de Ralph Ortiz (artiste “destructiviste”, dont les performances , peu documentées, semblaient cathartiques – cf article Ralph Ortiz – Vancouver Sun), qui langé comme un nourrisson, buvait des biberons et appelait “papa ! maman ! papa ! maman !”.
L’effet que la vision de cette scène avait sur son patient pousse alors Janov à s’intéresser à la puissance de ce sentiment de solitude et des besoins non satisfaits de la petite enfance.
Ces scènes qu’il appelera ensuite primals, lorsqu’un besoin vital (être nourri, être pris dans les bras, que quelqu’un vienne lorsqu’on se sent en danger ou en manque) est non satisfait, Arthur Janov les place à la source de nos névroses.
Appeler mes parents, leur demander de me protéger et de m’aimer, est un besoin réel, vital. Si le bébé sent que ça ne fonctionne pas, il détourne alors ce besoin réel vers un besoin irréel (avoir suffisamment d’argent, obtenir une reconnaissance sociale, …).
Primal après primal, nous construisons ainsi un moi irréel, dont les attentes et les besoins ne sont que des leurres destinés à masquer nos besoins réels inassouvis. Notre moi irréel ne sera jamais satisfait par un nouvel achat, ou une promotion dans notre carrière, il visera toujours plus… car c’est justement cette course vide de sens qui sert à nous occuper l’esprit pour ne pas nous confronter à nos besoins réels enfouis.
Le conflit sous-jacent entre le moi réel enfoui au fond de nous et le moi irréel que nous avons mis en place pour nous éviter de souffrir est alors une cause de tension perpétuelle.
Les mécanismes de défense, composante de la psyché ou émanation de la névrose ?
La psychanalyse freudienne, et nombre d’écoles de psychologie considèrent que les mécanismes de défense psychologique (comme l’occultation, le déni, la régression, la projection…) permettent de réduire l’anxiété. Ils font partie intégrante de notre système psychique, et aident à en garantir l’équilibre.
Les mécanismes de défense représentent la défense du moi contre les pulsions instinctuelles et les affects liés à ces pulsions
Anna Freud, 1936
Pour Janov au contraire, un individu sain n’a pas besoin de système de défense, il gère les problèmes avec lucidité sans avoir besoin de les fuir ainsi.
Ces mécanismes servent essentiemment à protéger contre la prise de conscience trop douloureuse de nos traumatismes primals. Après, une thérapie primale, une fois la prise de conscience effectuée et les traumatismes désamorcés, ces mécanismes n’ont donc plus de raison d’être.
Une thérapie qui mêle libération physique et conscientisation
La thérapie primale inclut le corps comme moyen d’accès aux émotions refoulées : les tensions des besoins réels qui cherchent à affleurer y sont inscrites, dans la respiration courte, les muscles abdominaux contractés ou le dos tendu.
En cela, elle évoque thérapies corporelles qui fleurissaient en Californie, mais aussi ailleurs – on peut penser aux méditations carthartiques d’Osho par exemple, cf Osho sur la méditatin dynamique et la Catharsis (en anglais) – à cette époque, qui utilisaient le corps et la respiration pour “débrancher” et faire lâcher un esprit trop en contrôle.
J’ai pu souvent constater – et utiliser lors de workshops comme celui sur la Puissance Féminine – à quel point passer par le corps peut nous aider à contourner un esprit trop critique.
Mais s’il accuse les thérapies freudiennes d’avoir négligé cet aspect corporel, il reproche également aux thérapies corporelles et à celles d’inspiration reichiennes d’oublier la prise de conscience associée à une libération de tension (cf plus bas ma critique sur ce point).
La thérapie primal tente donc une approche qui combine le corps et les insights, prises de conscience de traumatismes vécus et enfouis.
Le protocole décrit par Janov est sans pitié : trois semaines pour démarrer, coupé de sa vie habituelle, seul dans un hôtel, avec une session de thérapie par jour en face à face avec le thérapeute.
Janov explique même qu’il ne souhaite surtout pas de transfert, et qu’il prend donc une posture plutôt désagréable, empêchant le patient de trouver la moindre consolation ou esquive, attaquant au contraire toutes ses défenses pour qu’il n’ai pas d’autre choix que de ressentir finalement les douleurs qu’il gardait au fond de lui.
Après ces trois semaines, le rythme est moins soutenu mais la thérapie se prolonge pendant un an ou deux, cette fois en groupe et avec des séances plus espacées.
À propos de Le Cri Primal, d’Arthur Janov
Quelques critiques personnelles
L’homosexualité, un symptôme névrotique pour Janov
Écrit dans les annes 70, ce livre porte également la marque de son époque. Janov considère l’homosexualité comme un symptôme névrotique dont la thérapie peut “libérer” le patient.
Et s’il critique les thérapies behavioristes qui commencent à émerger à l’époque (à base de chocs électriques lorsqu’on présente une image d’homme nu au patient), c’est sur leur inefficacité, et non sur le principe…
En 2020, cette façon de voir les choses peut sembler datée, et un thérapeute ne sera sans doute pas aussi motivé à débarrasser une personne homosexuelle de ce qui est désormais considéré comme une orientation sexuelle, et non plus une névrose.
Le corps et l’esprit : dialogue ou résonance ?
Janov consacre un chapitre à critiquer toutes les autres formes de thérapie, pour expliquer pourquoi selon lui elles n’arrivent pas à la cheville de la thérapie primale.
Cette idée qu’une école a raison (au hasard : la sienne !) et que toutes les autres ont tort me laisse un peu perplexe. La psyché humaine est suffisamment complexe pour qu’on puisse imaginer que plusieurs approches puissent obtenir des résultats – au minimum selon les personnes, voire toutes en même temps même avec des théories antinomiques.
Mais surtout, quand il explique que les thérapies corporelles ne peuvent pas fonctionner parce qu’elles ne permettent pas une prise de conscience, je pense qu’il commet une erreur : celle de cloisonner le corps et l’esprit.
On sait combien l’esprit peut agir sur le corps (les maladies psychosomatiques sont de vrais maladies), ou combien le corps – et notamment le cerveau – affecte l’esprit. Mais on continue à penser que corps et esprit sont deux entités étanches, séparées.
Il me semble que corps et esprit ne sont qu’une seule et même chose.
On peut soigner l’esprit par le corps, le corps par l’esprit… peut-être non pas parce qu’ils interagissent, mais parce qu’ils sont intimement liés, voire deux visions partielles de l’individu.
La critique de Janov ne tient pas à mon sens. Que la thérapie passe par l’esprit, par le corps, ou par les deux, il est possible d’atteindre les mêmes couches profondes.
À lire également
Un article critique sur la thérapie primale, notamment sur le fait que la méthode de Janov – comme toutes les autres regression therapy à base d’hypnose, etc. – pourrait créer de faux souvenirs (ou False Memory Syndrome)
> Se souvenir de sa naissance avec le cri primal, vraiment ?