La Sexualité des gens heureux
Pascal Sutter
Les arènes, 2009
260 pages
Le livre de Pascal de Sutter se pose comme un état des lieux des connaissances sur la sexualité épanouie, par opposition aux nombreuses études qui se concentrent sur ses dysfonctionnements, ou sur les violences sexuelles, ou encore aux injonctions à la performance ou à la quête des pratiques extrêmes.
Les études consacrées à la sexualité des gens heureux ne bénéficient ni du même intérêt, ni du même financement privé par des laboratoires qui n’y trouveraient matière à développer aucun médicament… mais c’est le champ de recherche de Pascal de Sutter, qui vulgarise ici certains résultats.
Chapitre 1 :
La place de la sexualité et son lien avec le bonheur
Le premier chapitre cite de nombreuses études concernant la sexualité, qui montrent à quel point une vie sexuelle épanouie contribue à la santé générale des individus. On a montré par exemple que le fait d’éjaculer régulièrement diminue les risques de cancer de la prostate.
Mais est-ce bien en terme de quantité que cela se joue ? Les hommes qui éjaculent régulièrement, pour reprendre cet exemple, ont probablement une vie sexuelle plus épanouie, que ce soit avec un partenaire ou via une pratique plus libre de la masturbation. Et il se pourrait bien que ce soit l’aspect qualitatif, ce bien-être lié à une sexualité heureuse, qui joue dans la protection.
Ainsi, d’après d’autres études les travailleurs.ses du sexe ou des personnes ayant de nombreux partenaires occasionnels ne présentent pas les même bénéfices, malgré une activité sexuelle quantitativement élevée.
Puis un petit chapitre historique rappelle la place de la liberté sexuelle – très liée en général à la liberté des femmes – dans la société occidentale.
On s’aperçoit à quel point notre société fait des allers-retours : du mythe du bon sauvage et la glorification de la naïveté sexuelle à la répression totale de l’époque victorienne, du mac carthysme pudibond à la libération sexuelle… sur le long terme, l’histoire culturelle de la sexualité semble osciller en permanence entre répression et libération.
Enfin, le chapitre se termine sur le rappel des travaux actuels de l’OMS pour définir la santé sexuelle comme une composante de la santé globale. Selon l’OMS : « La santé sexuelle est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social en matière de sexualité, ce n’est pas seulement l’absence de maladie, de dysfonctionnement ou d’infirmité. La santé sexuelle exige une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles agréables et sécuritaires, sans coercition, ni discrimination et ni violence. Pour atteindre et maintenir une bonne santé sexuelle, les Droits Humains et Droits sexuels de toutes les personnes doivent être respectés, protégés et réalisés »
OMS 2003, cf le site de l’OMS
L’OMS met ainsi en place des stratégie pour le développement de la santé sexuelle au plan international, en respectant au maximum les cultures de chaque pays et leurs normes sexuelles propres.
> cf Plan d’action pour la Santé Sexuelle et reproductive, 2016 – PDF
Chapitre 2
Bonheur et sexualité
Le second chapitre démarre sur quelques analyses statistiques issues d’une enquête sur la sexualité – avec quelques corrélations intéressantes, comme le niveau de satisfaction sexuelle qui diminue chez les hommes à mesure que le niveau d’études augmente (trop intellectualiser les choses peut amener des difficultés dans la vie sexuelle) – alors que c’est l’inverse chez les femmes… et amène sur un constat étonnant pour qui croit à l’importance de la vie sexuelle :
Une vie sexuelle satisfaisante n’est pas prédictive du niveau de bonheur
Ce constat peut sembler contre-intuitif pour quiconque travaille ou même s’intéresse à la sexualité… en tous cas, personnellement j’aurais soutenu le contraire ! Si je souhaite devenir sexologue et aider les gens à retrouver un équilibre dans leur sexualité, c’est bien parce que je pense que c’est un pilier essentiel du bonheur humain.
Bien sûr, mais le lien n’est pas aussi linéaire que cela…
Au passage, Pascal de Sutter retourne cette analyse en en faisant une raison de ne pas se mettre trop la pression, de ne pas instaurer un “sexuellement correct” qu’il faudrait à tout prix atteindre.
Cependant, d’autres corrélations statistiques montrent tout de même des liens forts entre bonheur et sexualité satisfaisante :
- Les problèmes sexuels affectent le bonheur de vivre
- Un manque de bonheur affecte la vie sexuelle
- Il existe un lien de circularité entre bonheur de vivre et fonctionnement sexuel.
Puis le livre présente plein de statistiques et études intéressantes sur le plaisir sexuel et l’orgasme ! Quelle part est biologique, peut-on apprendre à jouir, mais aussi un petit point sur la dictature de l’orgasme qui a remplacé son interdiction au siècle dernier…
De quoi se faire une culture générale autour de ces questions.
Chapitre 3
Le sexe dans la tête
Le troisième chapitre est consacré aux aspects psychologiques de la sexualité.
Les fantasmes d’abord, avec des études sur leur teneur (sont-ils les mêmes chez les hommes et les femmes?), sur les fantasmes perturbants… bien sûr la grande question “faut-il réaliser ses fantasmes” ?
Pas tous bien sûr – les fantasmes violents ou les idées fixes ne sont pas forcément bons conseillers – mais l’auteur a dirigé une étude où l’on demandait aux participantes de réaliser un fantasme (un fantasme peu risqué, comme faire l’amour devant un miroir ou bander les yeux, jouer avec un glaçon…), et étudié les effets de cette réalisation. Effets plutôt positifs, pas uniquement pour la réalisation proprement dite, mais pour tout le climat autour : l’imagination et l’anticipation, le fait de préparer un temps et un lieu sexuel… l’effet mis le plus en avant par les participantes étant la prise de conscience d’idées érotiques.
Puis le livre aborde la motivation sexuelle, puis le désir – avec un focus sur un point important : le surpoids, ou plutôt l’image de soi liée à un surpoids ressenti, qui apparaît principal cause du malheur sexuel féminin.
Si l’obésité semble être statistiquement liée à une sexualité moins heureuse, une autre étude apporte toutefois un angle intéressant :
J’ai interrogé anonymement un auditoire d’une centaine de femmes sur la perception de leur apparence corporelle.
Pascal Sutter, La sexualité des gens heureux
78% d’entre elles s’estimaient trop grosses, 22% estimaient avoir un poids satisfaisant et… 0% se trouvaient trop maigre. Or si on observe leur poids réel, seulement 7% souffraient effectivement d’une surcharge pondérale excessive. 4% possédaient même un poids insuffisant selon les critères de l’OMS. J’avais donc devant moi un auditoire de femmes objectivement minces et qui pourtant se jugeaient trop grosses.
Il semblerait donc qu’aujourd’hui de nombreuses femmes souffrent d’une forme de dysmorphophobie.
Et l’auteur décrit ensuite comment cette dysmorphophobie, plus ou moins prononcée, a des répercussions en cascade sur la vie sexuelle – difficulté à se montrer nue, sentiment de ne pas être attirante… et toute la gêne et les blocages sexuels qui naissent de ces pensées.